Maladies invisibles : comment vivre avec le poids du regard des autres ?
Dans cet article, j'ai eu le plaisir de témoigner autour du regard porté par les autres, lorsque l'on vit avec des troubles psychiques et de l'importance de la sensibilisation.
5/8/20247 min read
Maladies invisibles : comment vivre avec le poids du regard des autres ?
Pour elles, c’est la double peine. Les personnes souffrant d’une maladie qui affecte leur comportement doivent aussi faire face au regard négatif de la société. Comment surmonter cette stigmatisation ? Enquête.
Par Sophie Le Pivain
Publié le 13/01/2025 à 14h24, mis à jour le 13/01/2025 à 14h24 • Lecture 6 min.
Il a fallu dix ans pour que Carole, jeune consultante au parcours apparemment sans accroc, ose parler de ses troubles obsessionnels compulsifs (Toc) devant quelqu’un d’autre que son compagnon ou sa famille (voir témoignage).
Dix ans ponctués de longues périodes d’isolement, quand masquer son angoisse convulsive d’être contaminée et ses obsessions hygiénistes lui demandait trop d’énergie, ne serait-ce que pour aller boire un verre avec des amis. « J’avais peur de ne pas être comprise et d’être moquée », se souvient-elle. Une peur fondée sur un climat ambiant peu propice, estime-t-elle : « Le handicap est présenté dans la société comme un sujet lourd, souvent triste. »
Affronter au quotidien la gêne, les railleries ou l'éloignement
Gêne, railleries, éloignement : autant de réactions que les personnes atteintes d’un trouble psychique ou du comportement doivent affronter au quotidien. Ainsi, Alexandre, qui souffre de schizophrénie, a vu ses relations amicales être affectées par des périodes où il se rappelle avoir été « haut perché » ou « être devenu condescendant » sous l’influence d’un sentiment de toute-puissance. « J’ai très mal vécu le fait de voir s’éloigner des amis proches, alors que je leur ai présenté mes excuses et exprimé mon désir de renouer », regrette le jeune homme âgé de 33 ans.
Au cours de ses expériences professionnelles, s’il a rencontré des personnes bienveillantes à son égard, il a aussi vécu beaucoup de situations inconfortables, liées à l’ignorance : « Souvent, les gens confondent la schizophrénie avec un TDI (Trouble dissociatif de l’identité), quand quelqu’un s’identifie à deux, voire plusieurs personnalités. Ou bien ils s’imaginent qu’on peut devenir violent, alors qu’en général on a plus de mal avec nous-mêmes qu’avec les autres. »
Ces troubles invisibles font parfois peser une défiance sur les personnes concernées. Atteinte d’un trouble bipolaire pour lequel elle a été plusieurs fois hospitalisée, Pauline le confirme : « Je sens bien qu’on a plus de mal à m’accorder sa confiance, du fait de ma maladie. » Récemment, un couple de son entourage a sollicité cette mère de famille à la foi vive pour devenir la marraine de leur enfant : « Ça m’a fait un plaisir immense. Jusqu’à présent, personne n’avait voulu me confier cette responsabilité ! »
La désinvolture des personnes publiques ou des médias
Tics, phobies diverses, hypocondrie… Pourquoi ces gestes ou comportements hors norme, inattendus, nous dérangent-ils tant ? Orthophoniste spécialiste du bégaiement et vice-présidente de l’association Parole Bégaiement, Élisabeth Vincent évoque la scène du film Discours d’un roi : « À un moment, George VI, le personnage principal, bloque sur un mot : l’assemblée le regarde ; et puis ça devient tellement difficile que tout le monde finit par détourner le regard. » Derrière le malaise que suscitent ces pathologies se cache bien souvent « un ressenti un peu archaïque de l’impulsivité, décrypte la spécialiste. Le fait de ne pas contrôler n’est pas bien vu par la société, d’où ces réactions négatives ».
Mère d’un jeune homme schizophrène et fondatrice du podcast Gueules Cachées, qui donne la parole à des personnes atteintes de troubles psychiques, Laetitia Forgeot d’Arc souligne la désinvolture des personnes publiques ou des médias. « Des responsables politiques se taxent de “schizophrènes” ou se défendent d’être “autistes”. C’est très inscrit dans notre société. Moi-même qui suis concernée familialement, je peux plaisanter avec le terme “borderline”, contribuant à sa stigmatisation, reconnaît-elle. Tous ces mots sont employés à mauvais escient et connotés négativement. Cela pousse les personnes à se recroqueviller sur elles-mêmes ; or le repli social est précisément en première ligne des symptômes de ces maladies-là. »
Le rôle de l'environnement pour dépasser les étiquettes négatives
Parmi les facteurs aidant à dépasser les étiquettes négatives qui collent à la peau, l’environnement proche joue beaucoup. « Ma famille me laissait bégayer tranquillement, sans dramatiser. Cela m’a beaucoup aidé », illustre ainsi Bertrand Muguet, 42 ans, atteint de bégaiement avec un niveau de blocage assez sévère selon les situations. « Mais dans les groupes de parole auxquels je participe, j’ai entendu plusieurs personnes me répondre que ce n’était pas le cas dans leur famille ou dans leur milieu. »
De son côté, Alexandre rêverait que sa mère s’intéresse davantage aux mécanismes et à l’univers de la schizophrénie, par exemple en suivant la Boussole, le programme de la Maison perchée – une communauté de jeunes adultes atteints de troubles psychiques –, dont il est proche, destiné aux familles de malades. Après des années où le sujet était tabou, les parents de Carole ont finalement cherché à en savoir plus sur les Toc dont elle souffrait, et sa mère a rejoint l’Unafam (Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques). Leur implication lui a donné un élan pour oser parler de son handicap
Des groupes de parole mis en place par des associations
Car la parole est salvatrice : « Nous avons trois couples d’amis très présents et compréhensifs, avec lesquels mon mari et moi osons aborder sans détour ma maladie, témoigne Pauline. Sans eux, je ne sais pas ce qu’on ferait. Ce n’est pas quelque chose que je peux raconter à tout le monde, mais il est très important pour moi d’avoir des personnes avec lesquelles je peux l’évoquer. » Depuis qu’elle ose parler de ses Toc, Carole a même découvert que sa parole ne libérait pas qu’elle : dans son milieu professionnel ou parmi les participants de son cours de théâtre d’impro, il n’est pas rare que des personnes concernées elles-mêmes ou dans leur entourage la remercient de briser le tabou.
La question dépasse le cadre de la santé mentale : « Quand j’ai enfin révélé à deux amies très proches de quoi je souffrais, je me suis rendu compte qu’aucune n’allait vraiment bien. Ce fut l’occasion de nous livrer sur des sujets que nous n’avions jamais abordés, malgré nos dix ans d’amitié… » Les groupes de parole mis en place par des associations sont souvent d’un grand secours pour les personnes qui se sentent incomprises. Élisabeth Vincent voit en eux « un levier de sociabilisation ».
Alexandre, lui, est devenu « pair-aidant » au sein de la Maison perchée, haut lieu de promotion de cette forme nouvelle d’accompagnement venue du monde anglo-saxon qui mise sur l’apport de l’expérience et des échanges réciproques entre personnes. « Ça me fait du bien d’aider d’autres personnes », se réjouit-il. Laetitia Forgeot d’Arc se félicite de l’arrivée en France de ce dispositif, pour lequel un diplôme universitaire a été mis en place : « Dire à des personnes atteintes d’un trouble qu’elles sont des expertes, un atout pour les autres, c’est très fort ! » Pour lutter contre les situations stigmatisantes en milieu professionnel, certains tombent le masque et s’engagent. Ainsi Carole ou Alexandre, qui parle de la Fresque de la santé mentale, des formations aux premiers secours en santé mentale, de l’installation de lignes d’écoute. Autant d’outils récents mis à disposition des responsables en ressources humaines ou des manageurs. Preuve que les mentalités commencent à évoluer
« En CM1, on m’appelait “Articule” »
Bertrand Muguet, 42 ans, atteint de bégaiement
« La période de l’école et du collège n’a pas toujours été facile. En CM1, on m’appelait “Articule”, et certains camarades sont allés jusqu’à me frapper. Même le maître s’est moqué de moi. Mais j’ai changé d’école et je n’ai plus subi de moqueries ; cela dépend beaucoup des meneurs de classe. En grandissant, la situation s’est améliorée : à partir de la classe de troisième, mon handicap a suscité plus d’interrogations que de moqueries. Le regard des autres ne m’a jamais vraiment empêché d’avancer et d’avoir une vie sociale épanouie : ma famille était un havre de paix et d’amour, où je pouvais bégayer tranquillement. Cela m’a beaucoup protégé. Mais le bégaiement reste un chemin de croix et d’humilité. Avant de décrocher mon téléphone, ou encore à la boulangerie, je fais régulièrement face à des moments de gêne. Je préfère alors aborder le sujet, souvent par une blague : “Ne vous inquiétez pas, ce n’est pas un problème de micro, c’est simplement que je bégaye.” C’est très bénéfique pour moi comme pour ceux que je rencontre, mais cela demande une certaine acceptation du handicap. »
« Sortir de chez moi était devenu un enfer »
Carole Sens, 30 ans, atteinte de Toc et d’un trouble anxieux généralisé
« Petite, j’avais déjà eu des Toc. Quand ils sont réapparus pendant ma première année de prépa, je n’en ai pas parlé autour de moi. J’avais des mauvais pressentiments liés à certains vêtements ou à la lumière, que j’éteignais puis rallumais pendant 1/4h, de crainte de mourir. Puis j’ai vécu dans la peur panique d’être contaminée : je me levais plusieurs fois par nuit pour me rincer la bouche ou je lavais une tasse de café plusieurs minutes. Comme ce trouble est méconnu, j’ai développé tout un art pour éviter que mes proches ou mes collègues s’en rendent compte. J’avais honte. Sortir de chez moi était devenu un enfer. Ne pouvant plus voir mes amis, je me suis retrouvée très isolée. Pendant le Covid, je me suis confinée chez mes parents. Après une période difficile où ils me culpabilisaient, ils ont compris que je ne faisais pas exprès. J’ai entrepris une thérapie. Aujourd’hui, je suis toujours atteinte de ces troubles mais ils se sont atténués. J’en parle quand je sens un environnement bienveillant et à chaque fois, ça m’a libérée. Et j’ai remarqué que ça libérait aussi les gens en face de moi. »
Article disponible ici : Maladies invisibles : comment vivre avec le poids du regard des autres ?
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